Mal au bide et chaud au coeur

10.1.15


Alors c'est ça qu'il nous fallait. Ce qu'il fallait pour nous sentir vivre ensemble, nous rapprocher, nous aimer les uns les autres. Pour se rendre compte qu'on aimait notre pays. Qu'on aimait même, dans notre pays, les policiers, les gendarmes, les journalistes, les juifs. Et même, alors ça c'est fou, les musulmans, coincés avec nous sur ce radeau de l'enfer. Sans doute d'ailleurs en plus mauvaise posture, puisque suspects et coupables d'office, aux yeux d'une partie - peu éclairée mais bien réelle - de l'opinion. Il nous fallait une catastrophe, une tragédie, un cauchemar. Un attentat terroriste de grande ampleur, ici, chez nous, en France. Il fallait que dix-sept personnes perdent la vie pour que nous retrouvions, peut-être, le goût de la nôtre ?

La sentez-vous, cette rage qui a pris place au creux de votre ventre ? Cette rage de défendre tout ce qui est beau, tout ce qui a de la valeur. Nos valeurs. Ce fameux mot dont le sens nous semblait évident, acquis : liberté. Ce mot rebattu, écrit partout, sur le fronton des mairies, caracolant en tête d'une devise qui semble un peu démodée. Inscrit dans notre ADN. Comme une tache de naissance. Mais savions-nous vraiment ce qu'il représentait, ce qu'il signifiait ?

Aujourd'hui, j'ai l'impression de le comprendre. Vraiment. De le ressentir au plus profond de moi. La liberté est un droit fondamental et pourtant, nous avons compris que ce n'est pas un cadeau qu'on reçoit et qu'on pose en haut d'une étagère. Un cadeau dont on sait qu'il est là, mais dont on ne fait rien. Un cadeau qui prend la poussière. Non. La liberté est un bien précieux sur lequel on doit veiller, pour lequel on doit être prêt à bondir, se lever.

Nous étions éteints, nous nous sommes réveillés

C'est ce que la France fait aujourd'hui et je ne sais pas vous, mais cette communion entre les gens est bien la seule lumière qui me donne espoir dans ce monde devenu fou. Ce monde qui a généré des individus désespérés, absurdes, barbares, n'ayant plus aucune notion des valeurs les plus élémentaires, à commencer par la valeur de la vie. Nous étions dans une période morose. Nous le sommes toujours et, je le crains, pour longtemps. La peur s'est installée au creux de mon ventre (à côté de la rage). La terreur, comme tout un chacun, que ces événements ne soient le début d'une longue série. D'un monde sombre qui semble désormais divisé en deux camps : celui de la liberté, de l'éducation, de la réflexion, de la tolérance, et celui de la haine, de la régression, de l'obscurantisme, du radicalisme. Manichéen ? Simpliste ? Peut-être. Mais parfois la vie ressemble à un film avec ses méchants et ses gentils.

Nous étions donc dans une période morose, nous ne semblions plus croire en rien, ni n'avoir confiance en personne. La société paraissait essoufflée, en bout de course, n'ayant plus rien à proposer d'exaltant. Nous étions éteints. Et tout à coup, nous nous sommes réveillés. Nous avons découvert que oui, nous possédons des choses qui valent la peine d'être défendues. Nous ne nous laisserons pas faire. Cet électrochoc nous insuffle une énergie nouvelle, positive. Nous sommes unis par un point commun : cette blessure, cette meurtrissure gigantesque. Ce voile noir qui reste autour de nos cœurs. Plus que jamais, nous avons envie de nous aimer, d'être ensemble, de protéger ceux qui nous sont chers, et les innocents que nous ne connaissons pas. Comme souvent, c'est la douleur qui rassemble les gens. Combien de temps cela durera-t-il ? Je ne sais pas. Le plus longtemps possible, j'espère.

Aimons-nous et ne nous divisons pas

Je ne me suis jamais sentie aussi française qu'aujourd'hui. Aussi fière d'être française. Demain, j'irai marcher dans la rue avec une conviction que je n'ai jamais ressentie. Certains d'entre vous le savent peut-être, je suis journaliste. Un détail qui me rend particulièrement sensible au concept de liberté d'expression. Cette semaine a été éprouvante au travail, notamment les réactions de gens émus à recueillir : tu prends des notes en retenant tes propres larmes. Je pense à cet attentat non stop depuis trois jours, comme la plupart d'entre vous, j'imagine. Il est toujours là, en fond. Je ne me suis jamais sentie aussi atteinte, aussi meurtrie par un événement qui ne me concerne pas directement. Mais là est la subtilité : nous sommes tous concernés. En tirant sur Charlie Hebdo, en tirant sur ces policiers, en tirant sur ces clients du supermarché casher, c'est sur nous tous qu'on a tiré.

Quelles leçons tirer (sans mauvais jeu de mots) de tout ça ? Quelles conclusions ? Je ne suis pas une politique, ni une géopoliticienne, ni une spécialiste du terrorisme. Juste une citoyenne lambda. Et j'ai envie de le dire avec des mots naïfs : aimons-nous les uns les autres, croyons en nous, en nos valeurs, ne sombrons pas dans la peur ou la haine, continuons de nous exprimer et de dessiner librement, parce que c'est ainsi que le monde entier devrait fonctionner. Et surtout, pour reprendre les mots d'un lycéen de Périgueux que j'ai interviewé cette semaine : ne nous divisons pas, jamais.

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5 commentaires

  1. Tu mérites ton statut de journaliste, tu écris avec amour et poigne, et tu sais le faire ressentir à tes lecteurs, je t'en felicite Maeva. Ton texte est touchant, il m'est allé doit au cœur pour m'y mettre un peu de baume, je t'en remercie vraiment. Tu as tellement raison, nous devons nous unir pour nos valeurs républicaines, nous unir pour continuer à croire en l'Amour, pour continuer à espèrer un monde meilleur pour nos enfants et pour protéger cette liberté que beaucoup d'entre nous avait oublié sur une étagère comme tu les dis si bien. C'est ce que nous devons retenir de tout ca.
    Gros bisous ma belle Maeva et a très vite pour un partage de futilités assumees. 😃

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  2. Un très bel article merci!!

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